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Du lieu et de la formule

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PETITES RE ˜ FLEXIONS SUR LE DE ˜ SERT EN LITTE ˜ RATURE

Du lieu et de la formule

J'ai toujours aim le d sert. On s'assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n'entend rien.

Et cependant quelque chose rayonne en silence… - Ce qui embellit le d sert, dit le petit prince, c'est qu'il cache un puits quelque part…

Antoine de Saint-Exup ry,Le Petit Prince

Vincent Teixeira

Pour qui a d j pass quelques heures dans le d sert, voire des jours entiers, cette exp rience constitue, immanquablement, un choc particulier, la d couverte d'un monde part. Pour avoir pass une nuit la belle toile dans le D sert Blanc en Egypte, nous pouvons dire que nous y avons per u un autre rapport au monde, l'espace, la lumi re, au temps, aux hommes, la solitude, l'infini, au silence. Aucun silence ne ressemble au silence si profond, si assourdissant m me, du d sert. Qu'on soit po te, mystique ou marcheur - parfois les trois la fois -, ces territoires extr mes que sont les d serts suscitent une fascination particuli re. Espaces infinis et vides, ou apparemment vides, ils ont toujours g n r mythes et l gendes et

Associate Professor, Faculty of Humanities, Fukuoka University

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ce n'est pas un hasard si ces terres hostiles ont t le berceau des trois religions monoth istes : le juda sme, le christianisme et l'islam. De nombreuses civilisations ont vu le jour leurs confins : l'Egypte des pharaons, l'empire des Perses, ou encore les riches Emirats de l'Asie centrale. Contr es inhospitali res, les d serts ont longtemps fait peur, surtout l'Occident, qui a eu du mal les p n trer. Ces espaces ont n anmoins une histoire, une m moire et sont peut- tre notre m moire, conservant squelettes de dinosaures, outils pr historiques, momies... Ce sont aussi des espaces habit s, le plus souvent par des peuples nomades, dont la survie, dans notre monde aveugl ment vou au progr s mat riel, est de plus en plus menac e.

Espace g ographique, spirituel et textuel, le d sert a depuis longtemps attir quelques fous, plus ou moins au ban de la soci t , mystiques, po tes ou aventuriers, aventuriers de l' me d'abord, depuis les anachor tes des premiers temps du christianisme jusqu'aux grands arpenteurs de dunes tels Roger Frison-Roche ou Th odore Monod, dont la d couverte du d sert fut comme une c l bration, celle d'une f te aust re qui l'a r v l lui-m me : J'ai eu la chance de rencontrer le d sert, ce filtre, ce r v lateur. Il m'a fa onn , appris l'existence. Il est beau, ne ment pas, il est propre. C'est pourquoi il faut l'aborder avec respect. Il est le sel de la Terre et la d monstration de ce qu'ont pu tre la naissance et la puret de l'homme lorsque celui-ci fit ses premiers pas d'Homo erectus…

1

L'appel du d sert n'est comparable qu' celui de la mer, ou de la montagne, mais son

1.Th odore Monod,

P lerin du d sert, La Table ronde, 1999.

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immensit horizontale s'apparente davantage celle de l'oc an. S'y greffent fantasmes des origines, d sir d' vasion et de solitude, r ve de libert , lan mystique, preuve de l'infini, asc se du vide, confrontation avec ses d mons int rieurs et avec le n ant, ce qui revient toujours, pour celui qui crit, avant, pendant ou apr s cette preuve, une recherche du lieu et de la formule, comme disait Rimbaud, une qu te du sens.

I - LE D SERT SPIRITUEL

Le d sert, terre hostile, aride, d'o l'eau, source de vie, est absente, est

cependant un lieu d' lection dans la Bible : c'est au d sert que, pendant les

quarante ann es de l'Exode, les H breux ont err . C'est dans ce lieu de

tribulations, de tentations et de d sespoirs que Dieu a form son peuple,

qu'il s'est r v l Mo se et lui a remis les Tables de la loi, faisant entendre

sa Parole. Lieu d'errance, d'abord, avant d' tre un lieu de r v lation. C'est

dans ce lieu aussi que le Christ accomplit quarante jours de je ne et subit

l' preuve de la tentation par Satan. De Jean-Baptiste J sus, des ermites

(er mos signifie d sert en grec) et P res du d sert aux communaut s

monastiques, on vient reprendre des forces spirituelles et se pr parer sa

mission dans le d sert, terre de d pouillement, terre purificatrice. C'est le

lieu id al pour le retour sur soi, l'asc se, le d nuement, la conversion,

l' l vation mystique : Le d sert aime qu'on soit nu , crira Saint-J r me

( Lettre XIV ). De Saint Paul et Saint Antoine Saint Pac me, qui sera

l'initiateur du c nobitisme , le regroupement des ermites en communaut s

monastiques, les premiers ermites se retirent dans la solitude des d serts

d'Egypte, de Palestine et de Syrie, pour mieux entendre l'appel du Christ, le

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monachisme proprement dit, caract ris par la retraite au d sert, apparaissant la fin du IIIe si cle, en Egypte. Ces hommes ivres de Dieu

2

choisissent de s'exiler dans le d sert pour tre plus pr s du ciel, s'enfouissant dans des trous comme des hy nes , s'enfermant dans des grottes, des arbres creux comme les reclus, s'installant au sommet de colonnes comme les stylites ou vivant d'herbes et de racines, quatre pattes, comme ceux qu'on appela les saints brouteurs . La vie de ces ermites et de ces moines du d sert d montrait la v rit de l'axiome sans cesse repris par Athanase et les autres P res de l'Eglise : Dieu s'est fait homme, afin que l'homme devienne Dieu. Les Apophtegmes des P res du d sert, recueils de sentences et d'anecdotes relatives leur asc se, sont un des joyaux de la litt rature monastique et toute la tradition post rieure de la spiritualit chr tienne, dont la rh torique oppose le d sert au monde , s'en est inlassablement nourrie, dans l'esprit des B atitudes vang liques : douceur et humble amour des hommes, paix et joie dans la lumi re de Dieu.

Symboliquement, le d sert appara t donc comme un lieu d sol , loign de Dieu, le repaire des d mons qui assi gent le c ur de Saint Antoine, le lieu du ch timent d'Isra l et de la tentation de J sus, mais aussi comme le c ur de la vie r mitique int rioris e, J sus lui-m me tant finalement victorieux des d sirs et des images diaboliques : lieu la fois de la tentation et de la gr ce. Comme le s jour des H breux dans le Sina , preuve dans leur qu te de la Terre Promise, a t l'occasion de l' clatante manifestation de la

2.Jacques Lacarri re,

Les Hommes ivres de Dieu, Fayard, 1975. Voir aussi Thomas

Merton,

La Sagesse du d sert : apophtegmes des P res du d sert, Albin Michel, 1967 ;

Marcel Driot,

Les P res du d sert, vie et spiritualit

, M diaspaul, 1991.

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puissance de Dieu, les moines du christianisme, en se retirant au d sert, s'en remettent enti rement la gr ce de Dieu. Telle est l'ambivalence du symbole : le d sert est la st rilit sans Dieu et la f condit avec Dieu. Le m me symbolisme est l' uvre dans la culture islamique, dont la religion, expression de la r v lation ultime, est plus que toute autre ancr e dans le d sert. Pour les Arabes, le d sert, dans son immense silence, est le lieu de la parole sacr e et toute la litt rature arabe, notamment la po sie, est profond ment enracin e dans le d sert, d'o la r currence de th mes comme l'errance, le nomadisme, l'absence, l'eau, le silence et la parole. Le po te libanais Adonis, n en Syrie en 1930, est un des h ritiers contemporains de cette tradition po tique, qui s'inspire du d sert des nomades. Mais sa po sie, la recherche d'une nouvelle mystique, profane, se d marque de la religion en pla ant au centre du monde, non pas Dieu, mais l'homme. Ainsi, le po me intitul Isma l (1983), vaste chant d'errance qui interroge le rapport incertain l'Histoire et l'identit arabo-musulmane, prend sa source et sa r f rence initiale chez ce fils d'Abraham et de l'esclave gyptienne Hagar ( Hagara , en arabe, signifie migrer ), consid r comme l'anc tre des b douins d'Arabie du Nord et qui erra dans le d sert avec sa m re, r confort e par Dieu, qui lui promit de faire d'Isma l une grande nation . Dans cette course l' toile, qu te de la parole dans l'oc an du sang arabe , au-del de toute patrie g ographique, l'espace du d sert fait r sonner une voix o tout s' trangle :

V tu de mon sang, je marche -

et des laves m'emportent, et me guident les ruines -

hommes, vagues d ferlantes, d luge

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de langues : chaque phrase, un roi et chaque bouche est tribu

Seul, il va.

Devant son temps, / Et moi banni par toutes les tribus ! il va .

3

D s lors, la m ditation po tique d'Adonis est la fois m moire et oubli, pr sence et absence, d voilant l'homme en son errance originelle, car son Orient natal ne se situe nulle part en dehors de la langue de son chant, qui seule fonde la pr sence de l'invisible. Faisant du temps son d sert et de l'espace sa folie, il capte des visions et des voix br l es par les l ments et par les subversions de l'histoire, au-del des fronti res et des fanatismes.

C'est pourquoi son chant s'abreuve si souvent la terre, au sable - dont un autre po te libanais, Salah St ti , crit : L'homme descend du sable. Le sable descend de l'homme

4

-, au ciel, au d sert :

D sert / mer et mon t moin perdu

je d lire comme celui qui marche sur ses os

… moi le t moin - notre terre enterr e sous tous ces proph tes

qui s'entassent sur elle.

( … )

3.Adonis,

Isma l, in M moire du vent (Po mes 1957-1990), trad. par Chawki

Abdelamir et Serge Sautreau, Gallimard, 2002, p.145.

4.Salah St ti ,

Signes et singes, Fata Morgana, 1996, p.23.

(7)

Je suis celui qu'un d sert a cr - les hardes de mes r ves ont des bois de palmiers

( … )

D sert / une pierre me fr le : tu es toi-m me ! je fr le le sable fraternel : es-tu toi-m me ? ton feu a d vor le feu …

d sert / un palmier porte une toile, une chamelle porte l'astre lunaire et enfante le d sert.

5

D sert est le titre donn la version fran aise de son Journal du si ge de Beyrouth (1985), dans lequel, au-del des t n bres, Adonis traque toujours l'horizon des horizons. V ritable exil universel , le po te s'est expliqu sur ce titre, disant notamment : Le monde industriel nous impose l' mergence d'un d sert infernal qui est l'oppos du d sert r g n rateur que j'aime.

6

Lieu de haute spiritualit , le d sert est un espace d' preuves et d'initiation, d'asc se et de r v lation, pour qui s'en remet sa solitude. Il peut tre alors l'occasion d'une autre naissance, d'une renaissance ou tout simplement d'un refuge face aux aveuglements du pr sent, face aux agressions et ali nations des soci t s. Pour ces exil s qui fuient ou qui sont en qu te des traces d'une beaut perdue, cet espace dit vide et inhabit peut tre un refuge, entre ruines et enfance. C'est le sens de la qu te que d crit, par exemple, le roman d'Andr e Chedid, Les Marches de sable

7

(1981),

5.Adonis, O ami, fatigue , extrait du

Journal de Beyrouth, trad. par Andr Velter

et l'auteur, in

M moire du vent, op. cit., p.140-142.

6.Cit par Andr Velter dans sa pr face

M moire du vent, ibid., p.14.

7.Andr e Chedid,

Les Marches de sable, Flammarion, 1981. Andr e Chedid, po te et

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dans lequel trois femmes, figures intemporelles de l'esp rance humaine dans l'Egypte du IVe si cle, se r fugient dans le d sert pour chapper au monde pr sent, leur pass ou leur destin, sans que l'on sache vraiment si ces marches de sable les conduisent vers un mirage ou une oasis. Symbole d'ailleurs ou refuge, le D sert , mot impr gn de r miniscences bibliques, sera plus tard le terme employ par les Protestants, surtout dans les C vennes, le Gard, une partie du Languedoc et du Vivarais, pour d signer l'ensemble des lieux cach s (grottes, ravins, for ts…), o les protestants r form s fran ais allaient c l brer leur culte dans la clandestinit pendant plus d'un si cle d'intol rance et de pers cutions la suite de la R vocation de l'Edit de Nantes en 1685 par Louis XIV.

Qu'il soit en pleine mer ou au c ur du d sert, le po te avance en archer aveugle , pour reprendre l'expression de Salah St ti , il s'en remet au vent et la houle, errant dans l'ab me qui se situe entre nous et le monde, dans l'espace qui s pare jamais le mot de la chose, interrogeant sans fin possible l'obscur dans l'homme et dans les choses. Dans le d sert, le po te, comme le mystique, se fait chercheur d'absolu, m me si Dieu, l' tre divin cach , ou le Graal, reste inaccessible. Lieu d'arcanes, o la fixit du sable figure aussi son contraire, le mouvement de l'oc an, il renvoie la vacuit du tout, laquelle l'Occident fut depuis toujours moins sensible que l'Orient ou le Moyen-Orient. En qu te d'autres propri t s que celles du progr s impos au monde endormi par l'Occident, Henri Michaux, hostile aux impasses de toute civilisation, voulant d'abord voir et vivre , m me s'il fut

romanci re, n e au Caire en 1920 de parents libanais, vit actuellement Paris, comme Adonis et Salah St ti .

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plus entour par la mer, qu'il dit avoir eu ternellement autour de [lui] , revient sur l'espace sacr et originel que repr sente le d sert dans l'histoire des trois grands monoth ismes et souligne la vacuit de cet espace lusif et nomade qui refuse de se laisser conqu rir et renvoie l'Occidental l'image de son impuissance et de ses limites : C'est le d sert qui a fait les grandes religions du Moyen-Orient, la religion juive, la religion mahom tane, la religion du Christ. C'est le d sert qui n'a pas pass dans le catholicisme et encore moins dans le protestantisme, tristes riches protestants ! Inutilement, le Christ a eu les paroles les plus dures contre ceux qui amassent. Inutilement. D pourvu de d sert, du sens du d sert, de la nostalgie du d sert, l'Occident, par destin, tait pour amasser, pour poss der, pour d velopper ; pour augmenter les biens, propri t s, savoir, et sa propre masse. Les sciences, le confort, la d mocratie devaient en sortir qu'il allait imposer au monde… avec les mus es.

8

L'Occident reste en marge du d sert ; pourtant son Dieu s'est d clar au c ur du d sert, dont la puret d sesp rante, le silence effrayant et l'immensit du vide s'opposent aux contours flous des paysages de montagnes asiatiques, nageant entre pr sence et absence, tre et non- tre, comme si le d sert tait l'image m me, originelle, d'une barri re transcendantale entre le Ciel et la Terre, implacablement s par s par un horizon comme coup au rasoir, Dieu tant retir dans un au-del inaccessible, s par des hommes. La g ographie et le sens de la Terre nous disent l une diff rence fondamentale, fertile en r percussions religieuses, philosophiques, po tiques et sensibles, entre les

8.Henri Michaux, Notes au lieu d'actes , in

Passages

(1937-1963), Gallimard, L'Imaginaire, 1998, p.152. Voir aussi le film de Raymond Depardon,

Un Homme sans

l'Occident

(2003).

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dualit s propres l'Occident et l' vanescence de l'Extr me-Orient.

II - LE D SERT EXOTIQUE DES AVENTURIERS

Avant d' tre livr l'exotisme et au d paysement, tels que les illustreront par exemple Alexandre Dumas, qui fait le r cit d'un voyage en Egypte en 1830 dans Quinze jours au Sina

9

, ou Pierre Loti, dont Le D sert

10

relate un voyage effectu en 1894 travers les m mes solitudes du Sina , le d sert accueillait les pouvantes, la ferveur et les interrogations de l'homme.

11

Avec l' mergence, en Occident, des grands voyages et de l'exotisme au XIXe si cle, c'est d'abord l'intensit de la lumi re, la splendeur des paysages de sable et de pierres, les beaut s et les mirages de la nature qui sont d crits, au d triment de la qu te spirituelle. La mode est au r cit orientaliste, affiliation culturelle qui remonte H rodote, l'inventeur du voyage ethnologique, et au pittoresque, avant tout visuel, qu'il s'agisse des paysages, des monuments, des ruines ou des coutumes locales, puisque le pittoresque, de l'italien pittoresco , d riv de pittore , peintre , d signe ce qui est digne d' tre peint. On pense en particulier aux Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France (1820-1863) de Nodier, Taylor et Cailleux, mais aussi un r cit inachev de Th ophile Gautier intitul Le

9.Alexandre Dumas,

Quinze jours au Sina

, Editions du Jasmin, 2003.

10.Pierre Loti,

Le D sert, Christian Pirot Editeur, 1998. Ce texte est le premier volet

d'une trilogie dont les deux autres s'intitulent

La Galil e

et

J rusalem.

11.Sur cette gen se convulsive du d sert, voir : Mohamed Kacimi El-Hassani et Chantal Dagron :

Naissance du d sert : d serts des imaginaires m diterran ens de

l'Antiquit la Renaissance, Balland, 1992. Voir aussi Sagesse du d sert, (125 textes

de la litt rature universelle), collectif sous la direction de Beno t Desombres, Calmann-L vy, 2003.

(11)

Voyage pittoresque en Alg rie.

12

Favoris par l'essor des transports, et en particulier du chemin de fer, le voyage conduit la g n ration romantique se d centrer : il ne s'agit plus seulement de parcourir la France, la Suisse ou l'Italie, comme Stendhal, mais d'aller vers l'Orient, aventure dans laquelle se lancent Chateaubriand, Lamartine, Gautier, Flaubert ou Nerval.

Bien s r, l'important est de bouger , comme le r sumait ce grand nomade que fut Robert Louis Stevenson, et de se laisser charmer par la diversit du monde. Ce plaisir de la singularit , cet attrait de l'inconnu conduisent bon nombre d' crivains et de peintres se d prendre d'eux-m mes, tout en jetant un regard fantasmatique sur l'Autre et l'ailleurs. Avec un go t prononc pour les l ments picturaux et d coratifs, cette litt rature exotique n'a pas toujours su viter les clich s. Mais le paradoxe veut que ce soit un peintre- crivain, Eug ne Fromentin, auteur d' Un t dans le Sahara

13

(1857), qui ait, parmi les premiers, tent de soustraire le pittoresque l'abus des clich s orientalistes.

Quelques crivains ont su chapper aux conventions et clich s de l' poque, tels G rard de Nerval et un peu plus tard Victor Segalen. Avec l'ange frais de l' il , le premier attend de l'Orient, terre pr destin e et terre de destin, la r v lation. Dans son Voyage en Orient (1851), il veut retrouver son lieu et la formule, bien au-del des attraits de beaut exotique. Nerval tait d j orient vers cet Orient qui devient le principe m me de toute une vie ant rieure, le creuset de sa nostalgie d'un Age d'or.

12.Seuls quelques chapitres parurent du vivant de Gautier. Cf. l' dition procur e par Denise Brahimi,

Voyage en Alg rie, La Bo te

documents, 1989.

13.Eug ne Fromentin,

Un t dans le Sahara, in uvres compl tes, d. Guy Sagnes,

Gallimard, Biblioth que de la Pl iade, 1984.

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D s lors, aux confins du d sert, l'int rieur duquel il ne s'aventura r ellement gu re mais dont il dut sentir la poussi re, en Egypte ou au Liban, il aborde l'Orient avec une trange fra cheur comme s'il abordait aux rivages du dernier paradis terrestre, le c ur plein de joie et de fraternit . Le r cit prend alors les dimensions du Mythe, selon une po tique dans laquelle se m lent le r el et l'imaginaire, la magie des vieilles l gendes, les fant mes de ses r ves et la pr cision et vivacit des choses vues, avec lesquelles le po te, fils d'un si cle d sh rit d'illusions

14

, se sent en sympathie spontan e. En qu te d'une unit quasi mystique, Nerval poursuit en Orient comme dans le lacis des rues de Paris son impossible course l' toile, entrevue et toujours d rob e. On est donc bien loin des apparences qui, tout autre voyageur, para traient essentiellement tranges et pittoresques, d paysantes en un mot.

Avec Segalen, comme ce sera le cas pour d'autres crivains voyageurs post rieurs, tel Nicolas Bouvier, le voyage a galement une valeur initiatique. Au-del de la d couverte du monde, il s'agit avant tout d'un voyage int rieur, comme il l' crit : On fit, comme toujours, un voyage au loin de ce qui n' tait qu'un voyage au fond de soi. La notion d'exotisme est alors revue, r invent e et red finie par cet explorateur de contr es lointaines, espaces et temps confondus, puisqu'il s'agit d'une nouvelle esth tique du divers : l'exotisme est tout ce qui est Autre, l'imminence d'un monde possible. En tant le t moin de la disparition de grandes civilisations, de la Polyn sie la Chine imp riale, avec un sentiment

14.G rard de Nerval,

Voyage en Orient, d. de Jean Guillaume et Claude Pichois,

Gallimard, folio, 1998, p.118.

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profond du pass , qu'il partage avec Nerval, Segalen fit de l'Ailleurs sa raison de vivre. Au-del de ses missions arch ologiques officielles, il d couvre que le but ultime du voyage reste int rieur et inaccessible, parcourant le Divers la recherche du Centre, dans une confrontation, sur le terrain , de l'imaginaire et du r el , exaltation de l'inaccessible dont le po me Thibet est l' loge d di une ternelle absence. Le d sert, dont les hauteurs de Thibet sont un double imp n trable et largement fantasm , r side alors dans la vacuit du but laquelle se heurte toute quip e sinc re, entreprise avec son c ur et dans sa chair.

Pourtant, la m me poque, de nouveaux aventuriers, fous du d sert

15

, se lancent travers sables et dunes la poursuite de leurs chim res les plus intimes ou les plus folles, comme si le d sir d'ailleurs tait un principe vital et le d sert l'occasion d'un r veil, entre r ve et veil. Dans ces quip es, le d sert, comme la mer, appara t comme une image de l'infini, de l'immensit , de l'absolu, de l' ternit , de l'ailleurs, le grand dehors susceptible de satisfaire sa soif d'inconnu ou de donner la clef de son destin spirituel. Pour certains, ces explorations, inventaires ou aventures, sont d'abord une exp rience de l'alt rit , s'inscrivant dans le prolongement de l'anthropologie des Lumi res ; pour d'autres, il s'agit avant tout d'une preuve personnelle, d'une exp rience int rieure, mue par un d sir d'errance ou de d racinement, qui ouvre sur les ab mes inconnus au fond de soi. Mais le plus souvent, les deux aspects se m lent, comme dans les p riples de la grande aventuri re

15.Heinrich Barth, Henri Duveyrier, Camille Douls,

Fous du d sert : premiers

explorateurs du Sahara 1849-1887, Ph bus, 1991 ; Philippe Decraene, Fran ois

Zucarelli,

Grands sahariens, Deno l, 1994 ; Janet Wallach, La reine du d sert : vie de

Gertrude Bell, Bayard, 1997 ; Jeremy Wilson, Lawrence d'Arabie, Deno l, 1994.

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que fut Isabelle Eberhardt, femme libre et fac tieuse, ennemie de la bonne soci t coloniale qui s'immergea, d guis e en tudiant musulman, mais munie de son passeport russe r v lant sa v ritable identit , dans la vie pre et les croyances des peuples du Sahara. Au Pays des sables raconte son premier s jour au Sahara, en 1899, et Amours nomades

16

regroupe vingt nouvelles crites au c ur du Maghreb et nourries de l'intimit qu'Isabelle Eberhardt partagea avec les gens du d sert. Ces r cits, qui content les amours mixtes Orient-Occident , r prouv es par les deux cultures, fragiles et vou es au drame, sont le fruit de sept ann es d'errance dans le d sert d'une jeune femme qui usa d'une double identit . Quand elle meurt en 1904, l' ge de 27 ans, noy e dans la crue d'un oued, est inscrit sur sa tombe Isabelle Eberhardt, crivain, Mahmoud Saadi, baroudeur mystique du Sahara . Autre aventure pique et c l bre, quoiqu'entour e de myst res, est celle de T.E. Lawrence, dit Lawrence d'Arabie, le d fenseur nigmatique et controvers de la R volte arabe (1916-1918), aventurier radical et auteur des Sept piliers de la sagesse (1922).

Parmi d'autres arpenteurs et amoureux fous du d sert, citons Michel Vieuchange. En 1930, ce jeune homme de vingt-six ans, apprenti crivain, se lance dans une odyss e sublime et tragique en d cidant de partir la d couverte de Smara, la capitale inconnue des Maures, ville mythique en plein Sahara occidental, dont il a eu la r v lation en lisant Joseph Kessel.

Cette exp dition, voyage corps perdu, relat e dans Smara, Carnets de

16.Isabelle Eberhardt,

Au Pays des sables, Jo lle Losfeld, 2002 ; Amours nomades,

Jo lle Losfeld, 2003. Voir aussi

Ecrits sur le sable, t. 1-2, Grasset, 1986, 1990 ;

Edmonde Charles-Roux,

Nomade j' tais : les ann es africaines d'Isabelle Eberhardt,

1899-1904, Grasset, 1995.

(15)

route d'un fou du d sert, pr fac par Paul Claudel qui parle de journal de d couverte et d'agonie

17

, se terminera par la mort de Vieuchange, atteint de dysenterie aigu , apr s un p riple plein d' preuves et de souffrances au terme duquel il ne fit qu'entrevoir la chose miraculeuse , Smara, ville fant me vid e de ses habitants redevenus nomades, image de l'invisible et de l'inconnu. D'autres voyageurs mythiques pourraient tre convoqu s, parmi lesquels Ella Maillart, c l bre journaliste suisse dont Oasis interdites

18

relate le voyage effectu en 1935 de Beijing Srinagar, en Asie Centrale, ou Roger Frison-Roche dont les Carnets sahariens

19

constituent le r cit de ses m har es, lors de ses 17 voyages entrepris entre 1935 et 1960. Diverses formes que prenne le p riple de ces aventuriers, il s'agit toujours de chercher, avec une soif de libert aviv e par l'horizon infini du d sert, sous les apparences d'une tendue morne et st rile l'essence ou le sens de la r alit . Difficile donc de s parer l'aventure du corps et celle de l'esprit, l'entreprise spirituelle et l'effort physique, les apparences et le r ve, le r el et l'imaginaire, p rilleuse alliance qui pr side pourtant, aux yeux de Victor Segalen, toute v ritable quip e au pays du r el , qu'on se lance l'assaut des montagnes, en pleine mer ou au c ur du d sert : (…) portant le conflit au moment de l'acte, refusant de s parer, au pied du mont, le po te de l'alpiniste, et, sur le fleuve, l' crivain du marinier, et, sur la plaine, le peintre et l'arpenteur ou le p lerin du topographe, se proposant de saisir au

17.Michel Vieuchange,

Smara, Carnets de route d'un fou du d sert, d. Ph bus, 2004.

18.Ella Maillart,

Oasis interdites, Payot, 2001.

19.Roger Frison-Roche,

Carnets sahariens, Arthaud, 2001. Dans le domaine

anglophone, voir galement Catherine Delmas,

Ecritures du d sert : voyageurs et romanciers anglophones, XIXe-XXe si cles

(T .F. Lawrence, R.F. Burton, C.

Doughty, G. Bell, W. Thesiger, etc. ), PU Provence, 2005 ; Paul Bowles,

Un th au

Sahara, Gallimard, L'Imaginaire, 1997.

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m me instant la joie dans les muscles, dans les yeux, dans la pens e, dans le r ve, - il n'est ici question que de chercher en quelles myst rieuses cavernes du profond de l'humain ces mondes divers peuvent s'unir et se renforcent la pl nitude.

20

Le d sert, comme le voyage au sens aventurier du terme, engage donc l'homme entier, dans un grand appel d'air, en r sonance avec cette fameuse formule des anciens navigateurs rapport e par Plutarque et qu'aimait citer Fernando Pessoa : Il est n cessaire de naviguer, mais non point de vivre.

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III - LE D SERT INT RIEUR

Naviguer ou marcher, sans but pr cis, comme envo t par le vertige du jour et les ab mes de la nuit, ensorcel par les nigmes du monde et aimant par le lieu non moins nigmatique de sa destination. On se br le au d sert comme on se br le aux questions, sous un soleil qui se meurt, parce qu'on est sans r ponses, et que l'on ne saurait se satisfaire de celles qui sont commun ment impos es ou admises dans un monde largement avachi. Le d sert de notre ignorance, dans lequel on entre, l' cart des chemins sus par c ur, dans une lumi re tellement aveuglante qu'elle en est d'autant plus obscure, condamne les r ponses trop faciles, ces v rit s de morts vivants : il faut d'abord s'y perdre dans l' blouissement des errances et des d tours, oscillant entre d solation et b atitude, comme la flamme puise la vie en br lant. S'y perdre signifie risquer sa chance, franchir le seuil, hors du lit

20.Victor Segalen,

Equip e, Gallimard, L'Imaginaire, 1983, p.13.

21.Fernando Pessoa,

Un singulier regard, trad. par Fran oise Laye, Christian

Bourgois diteur, 2005, p.39.

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douillet de nos civilisations empoisonn es et endormies, s'abandonner la salubrit du vent et de la houle. Parcours qui claire et blesse pour qui, aimant par l'urgence du d sespoir, parie sur l'horizon des horizons, qui exige de s' vader hors de soi et porte au-del , faisant signe de loin et au loin, d'au-del et au-del . Le d sert est alors le lieu m me de l' tendue vacante, l'espace et l'image de l'homme en son errance originelle. Absence de lieu, vaines visions de voyage et mirages illusoires qui, malgr tous les v ux d' ternit , se heurtent au manque, se noient au fur et mesure dans l'horizon et conduisent, malgr parfois de longs d tours travers bien des errements et des chemins sans indulgence, l'inach vement, face la mort.

C'est le principe du chemin dans le d sert , dont parle Kafka dans son Journal , ajoutant : Ce n'est pas parce que sa vie tait trop br ve que Mo se n'est pas entr en Chanaan, c'est parce que c' tait une vie humaine.

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Car si le d sert, espace d'un improbable ailleurs, peut tre un refuge, il est aussi un lieu d'endurance et d' preuves, synonyme d'errance, de solitude, d'ennui, d' puisement, de faim, de soif… l'ennui, avec la mort au bout, qu'illustrent par exemple le roman all gorique de Dino Buzzati, Le D sert des Tartares

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, o rien ne se passe, except l'attente, dans le fort Bastiani, la lisi re d'un d sert, d'un monde inconnu, ou encore le voyage int rieur, narr sur le mode d'un r alisme magique, que font les personnages du roman de Frederic Prokosch, Hasards de l'Arabie heureuse

24

, dramatique

22.Franz Kafka,

Journal, 19 octobre 1921, trad. par Marthe Robert, Le Livre de poche,

1991, p.520.

23.Dino Buzzati,

Le D sert des Tartares, trad. par Michel Arnaud, Pocket, 2004.

24.Frederic Prokosch,

Hasards de l'Arabie heureuse, trad. par Henriette de Sarbois,

Gallimard, L'Imaginaire, 2005. Voir aussi l'h ro que travers e du d sert de Gobi, aventure v cue celle-ci par des vad s du bagne russe, que narre le r cit de Slamovir

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randonn e dans le d sert qui les engloutit presque tous. En ancien fran ais, d sert ne d signait pas seulement un lieu, mais se disait galement d'une personne ruin e, d pouill e ou abandonn e. Ce d sert int rieur, dont Nietzsche a pu dire qu'il croissait, est aussi celui d' crivains comme Kafka, en proie la solitude et au d sespoir, dont les uvres sont autant de cris dans le d sert.

Dans le d sert (…), il y a tout, et il n'y a rien… (…) c'est Dieu sans les hommes

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, crit Balzac la fin d' Une passion dans le d sert (1830). Mais la nouvelle de Balzac est avant tout le r cit d'un amour fou entre un homme, jeune Proven al perdu dans le d sert d'Egypte, et une panth re, reine des sables . L'homme et la b te sauvage, dont le charme envo tant prend peu peu le dessus sur la peur premi re du jeune homme, vivent ensemble dans une grotte, l' cart de toute vie humaine, et succombent ensemble une passion amoureuse, apparemment contre nature, qui se termine tragiquement par le meurtre de la b te. Cette all gorie est celle de l'amour, combinaison entre deux solitudes qui ne va pas sans un tremblement de terreur, l'amour qui se cherche le lieu propice, et g n ralement un lieu cach , petit, ajust au corps, pr caire, un antre, isol du monde ext rieur. Mais l'extr me lointain qui vient se glisser entre les deux corps de l' treinte ne peut tre que source d'angoisse. Dans ce r cit du vertige des sens, o vacillent les identit s, Mignonne, la panth re sultane du d sert , pr sente des analogies flagrantes avec la Paquita de La Fille

Rawicz,

A marche forc e. A pied du Cercle polaire l'Himalaya. 1941-1942, trad. par

Eric Ch daille, Ph bus, 2002.

25.Honor de Balzac,

Une passion dans le d sert, in La Com die humaine, Gallimard,

Biblioth que de la Pl iade, t.VIII, 1978, p.1634.

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aux yeux d'or. Balzac y crit aussi de belles pages sur le d sert, entre merveillement et anxi t : (…) il jeta les yeux autour de lui, le plus affreux d sespoir fondit sur son me. Il voyait un oc an sans bornes. Les sables noir tres du d sert s' tendaient perte de vue dans toutes les directions, et ils tincelaient comme une lame d'acier frapp e par une vive lumi re. Il ne savait pas si c' tait une mer de glaces ou des lacs unis comme un miroir. / Emport e par lames, une vapeur de feu tourbillonnait au-dessus de cette terre mouvante. Le ciel avait un clat d'une puret d sesp rante, car il ne laisse alors rien d sirer l'imagination. Le ciel et la terre taient en feu. Le silence effrayait par sa majest sauvage et terrible. / L'infini, l'immensit , pressaient l' me de toutes parts : pas un nuage au ciel, pas un souffle d'air, pas un accident au sein du sable agit par petites vagues menues ; enfin, l'horizon finissait, comme en mer, quand il fait beau, par une ligne de lumi re aussi d fi e que le tranchant d'un sabre.

26

L'apparente immobile ternit du d sert serait-elle mirage ou oasis ? Nul doute que le puits qui s'y cache est aussi l'int rieur de l'homme, qui est lui-m me un d sert, comme l'illustre le conte en forme de parabole d'Antoine de Saint-Exup ry, Le Petit Prince : on ne voit bien qu'avec le c ur. L'essentiel est invisible pour les yeux.

27

Tel est le sel du d sert pour qui suit son appel. Le sable y est la fois purificateur et liquide comme l'eau et abrasif comme le feu ; ses tendues sont un lieu de d nuement o l' tre se d cape lui-m me, se d fait de ses vieux oripeaux. Espace d' vasion et

26.

Ibid., p.1625.

27.Antoine de Saint-Exup ry,

Le Petit Prince, Gallimard, 1946, p.72.

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d'inconnu, la fois ext rieur et int rieur. Pour les aventuriers de l' me, tel Arthur Rimbaud, partir, c'est mourir un peu, s'aventurer dans des espaces peupl s de fant mes, un pi ge, devenir soi-m me fant me. Comme Nerval, Rimbaud fuit l'enfer de la grisaille parisienne ; il fuit et se fuit, pour d couvrir et se d couvrir, avec le sentiment de n' tre nulle part chez soi, que partagera galement un Blaise Cendrars. Esprit de libert , amoureux fou et adorateur de la libert libre , me solitaire, sans-c ur , il fuit aussi les D serts de l'amour, o il ne conna t qu'amertume et d tresse, abandon dans les jardins incendi s du vert paradis des amours enfantines que regrettait d j Baudelaire. La vraie vie est ailleurs , toujours d rob e, pour cet exil universel, silhouette de vent, qui s' vade hors de soi ( Je est un autre ), sans attache, d racin , en avant , la poursuite de l'or du temps , qui n'a pas cours en ce monde.

La faim, l'azur noir des F tes de la faim , et la soif, soif spirituelle, soif d'aventures et d'inconnu de la Com die de la soif (dont un autre titre manuscrit est L'Enfer de la soif ), le tiraillent sans cesse : J'ai soif, si soif !

28

, crira-t-il dans Nuit de l'enfer , cho biblique l'une des sept paroles du Christ en croix, jusqu' cette soif dess chante qu'il conna tra physiquement dans les d serts sans eau d'Aden et de l'Abyssinie. Pour cet insoumis que fut Rimbaud, les Rumeurs et les Visions de l'ailleurs r v ainsi que l'exil dans le d sert, sa derni re saison en enfer, sont affili s au m me silence, la m me r volte, au m me naufrage. Avant de quitter

28.Arthur Rimbaud, Nuit de l'enfer , dans

Une Saison en enfer, in uvres compl tes

- correspondance,

dition pr sent e et tablie par Louis Forestier, Robert Laffont, collection Bouquins, 2004, p.146.

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l'Europe aux anciens parapets , ce marcheur infatigable, l'homme aux semelles de vent , s'est d j affranchi du carcan des id es mortes, se r vant sans attache, et au terme de son errance, ce fils du soleil rejoindra le soleil d'Afrique, l'ultime enfer de son exil, un soleil t te de mort. Pour ce damn , ce c ur supplici qui ne r ve que de s' vader, l'enfer, le d sert de l'enfer, est partout, toujours, l'endroit o il se trouve, l'instant o il vit, hic et nunc . Il reste fondamentalement un tranger , au-del de l'exil m me, au-del de la patrie, sans qu'il y ait une vraie patrie d'o il se serait loign ou exil : l'homme est ce qui lui manque. M par son refus du r el et ce r ve impossible du d gagement r v , il ne peut que crier ou murmurer : Au revoir ici, n'importe o . L'exil de ses ultimes aventures, o il se br lera jusqu' la mort, se lit d j en filigrane dans maints passages d' Une Saison en enfer : Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l' il furieux : sur mon masque, on me jugera d'une race forte. J'aurai de l'or : je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces f roces infirmes retour des pays chauds ; Allons ! La marche, le fardeau, le d sert, l'ennui et la col re

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; je retournais l'Orient et la sagesse premi re et ternelle

30

; marche vers l'inconnu et vers la r alit rugueuse treindre !

31

, qui ne r sout pas les contradictions : Les saints ! des forts ! les anachor tes, des artistes comme il n'en faut plus !

32

Si avec Une Saison en enfer , avec ses mots p tris dans la lave et le feu, Rimbaud semble liquider l'enfer chez lui, il n'en finit pourtant pas avec la

29.Arthur Rimbaud, Mauvais sang , dans

Une Saison en enfer, ibid., p.143.

30.Arthur Rimbaud, L'Impossible ,

ibid., p.154.

31.Arthur Rimbaud, Adieu ,

ibid., p.157.

32.Arthur Rimbaud, Mauvais sang ,

ibid., p.145.

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po sie, et les Illuminations t moignent du d sir et de la recherche d'une nouvelle alliance entre la terre et le ciel, une sorte de nouvelle Gen se dont des titres comme Apr s le D luge , Enfance , D part , Mystique , Aube sont des signes visibles de cette qu te impossible de No l sur la terre !

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Avant de perdre sa jambe, Rimbaud se sera beaucoup perdu et aura beaucoup march , traversant d'abord toute l'Europe, et si Nietzsche disait qu'on ne pense bien qu'en marchant, nul doute qu'en marchant, Rimbaud se sera constitu un corps particulier, mais aussi un mode de pens e particulier, toujours en avant, dans son errance perp tuellement reconduite dont l'issue et le sens restent d rob s. Mais crire, n'est-ce pas tre dans une fuite fertile, dessinant des lignes de fuite cr atrices, selon l'expression de Gilles Deleuze. M me s'il poursuit des images ou des mirages, dans son invisible parcours, au-del de la lumi re qui n'est que poussi res, le po te, bloui dans sa course l' toile, dont il serait vain de vouloir d partager la part de mensonge de celle de v rit , fait un merveilleux naufrage, s'ab mant avec plus ou moins d'all gresse au vertige, l'extase ou la d chirure de l'inconnu : On ne part pas

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, affirme-t-il abruptement dans Mauvais sang . Ne serait-ce qu'un cri dans le d sert ?

Avec les seules torches de la po sie, brandons h ro quement port s dans la nuit opaque du monde, le po te ne cesse de qu ter le lieu et la formule , jusqu' atteindre l'irr m able, sans retour. La po sie est ce voyage aux confins du dehors et au plus intime du dedans, au c ur de cet horrible en dedans - en dehors qu'est le vrai espace , comme disait Michaux.

33.Arthur Rimbaud, Matin ,

ibid., p.156.

34.Arthur Rimbaud, Mauvais sang ,

ibid., p.143.

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Car l'infini, comme la beaut et le supplice du d sert, est peut- tre bien en nous ; mais pour que cet inconnu soit quelque peu entrouvert, sans tre jamais compl tement r v l , il faut s'ouvrir et conjuguer dans une exp rience int rieure l'inconnu en soi et l'inconnu du dehors, ce que dit aussi ce po me d'Edmond Jab s :

Un point brillant l'horizon. Sait-on , au c ur des nuages, qu'il est t te de clou ?

(Comme le regard qui, pareil au phare balayant l'oc an de sa lumi re, apr s avoir embrass l'univers, se fixe sur son secret.)

Feinte libert ! L'errant, dans sa d pendance la route, ne t moigne que de ses cha nes.

De cette solitude qui parle soi-m me pour rejoindre la solitude de l'autre, la parole est le pas et l'ancre.

(…)

Un voyage, vous dis-je, un ternel voyage dans l'inconnu et dans la mort.

L' me est plus vaste que le monde.

Nous sommes cette d chirure.

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Qu'elle soit situ e dans l'espace g ographique ou dans l'espace textuel, l'errance est fertile, car elle d place les fronti res, int rieures et physiques.

35.Edmond Jab s, Lettre M.C. , in

Le Seuil Le Sable - Po sies compl tes

1943-1988, Gallimard, 1990, p.345.

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Tout d sert a ses oasis, plus ou moins apparentes ; le dessin g ographique de l'Egypte en est l'image m me, le cours du Nil tra ant une ligne droite et m diane, source de vie implant e au c ur du d sert.

SOLEILS-FILAMENTS au-dessus du d sert gris-noir.

Une pens e hauteur d'arbre

attrape le son de lumi re : il y a encore des chants chanter au-del des hommes.

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La travers e du d sert se situe dans l'absence de temps, l'absence de pays et l'absence de dieux, l'ab-sens , la solitude int rieure, l'exil, l'errance.

A la limite, nul besoin d'aller loin pour en mesurer l'intensit , et le nomade peut rester immobile, l'errant peut ne pas bouger, ainsi que s'est d fini lui-m me Maurice Blanchot. Le d sert est le symbole m me de cette errance, comme l'est l' criture, puisque les mots, qui sont bien souvent des sables mouvants , selon l'expression de Georges Bataille, sont ternellement la recherche de leur sens et disent trop ou peine la braise secr te du c ur.

L' criture est aussi un voyage, dans le temps, comme dans l'espace, voyage inachev qui s' crit et se r crit sur le palimpseste du d sert, l'homme ne cessant d'interroger et de d chiffrer l' nigme du monde et son nigmatique visage de sable , r vant comme Michel Fardoulis-Lagrange d'un texte

36.Paul Celan,

Renverse du souffle, trad. par Jean-Pierre Lefebvre, Seuil, 2003, p.24.

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inconnu , entre m moire et oubli : Limbes et destin es seraient r unis en profondeur sous la calligraphie de signes la surface des sables, texte exhaustif inspir par l'esprit des vents.

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37.Michel Fardoulis-Lagrange,

L'Observance du m me, r d. Jos Corti, 1998, p.122.

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