Le Roman de Renart, Branches II5 113 edition critique d'apres les manuscrits C et M ... (2)
— notes et etudes —
Naoyuki FUKUMOTO
BRANCHE
I
115: Renart et Tiecelin le corbeau
Analyse de la branche:
1. Renart trouve un endroit fort agreable dans une prairie oil se trouve un hetre . (v.1 —15) v.1^-8: Renart a trouve en une plaine un endroit fort agreable et peu frequente ,
ou it voit un hetre plante.
v.9-15: Il se coucha dans l'herbe fraiche , s'y roule; it est descendu a la bonne auberge. Il a nulle envie d'en changer, pourvu qu'il y ait quelque chose
a manger.
2. Tiecelin le corbeau, qui a vole un fromage a une paysanne , vient se percher sur le hetre.
(v.16-42)
v.16-22: Tiecelin le corbeau, qui avait jeune toute la journee , a quitte le bois et est venu se cacher dans un enclos.
v.23-30: Il y voit un bon millier de fromages seches au soleil, mais celle qui devait les garder etait rentree chez elle. Tiecelin comprend que c'est le moment
de faire du butin et it en saisit un.
v.30^-42: La vieille, apercevant Tiecelin, lui lance des cailloux et des pierres pour rattraper son fromage en s'ecriant. Tiecelin, de son cote, lui lance des
injures: "`Mauvaise garde nourrit le loup."
3. Renart trompe Tiecelin par de belles paroles et lui s'empare d'un fromage . (v.43--162) v.43"-48: Tiecelin vient se percher sur le hétre au pied duquel se trouvait Renart .
Its sont ensemble a ce moment, Tiecelin dessus, Renart dessous, mais avec cette difference que l'un mange et l'autre bailie de faim.
v.49"-64: Tiecelin entame son fromage, mais it ne s'apercoit pas qu'une miette tombe par terre juste devant Renart, qui s'en est bien apercu.
v.65^-75: Renart commence par l'interpeller avec I'eloge de son pere Rohart connu comme le meilleur chanteur de France et invite Tiecelin a chanter une chanson.
v.76-81: Tiecelin, qui l'entend, pousse un cri. Et Renart le reinvite a monter un
degre avec des paroles enjOleuses.
v.82^-95:
v.96-100:
v.101^-118:
v.119-131:
v.132"-136:
v.137-151:
v.152-159:
v.160-162:
Tiecelin se remet a pousser un nouveau cri. Renart, louant sa voix claire et pure, lui demande de chanter une troisieme fois. Et Tiecelin de chanter a perdre haleine. Mais it ne s'apercoit pas, pendant qu'il s'evertue, qu'il a laisse tomber son fromage aux pieds de Renart.
Renart, qui brule d'envie de le manger, se garde bien de toucher au fromage, car it voudrait attraper Tiecelin en plus.
Afin d'attirer Tiecelin pres de lui, Renart feignant de s'etre blesse a la patte dans un piege, le supplie de lui Oter ce mal, car rien n'est plus mauvais pour sa plaie que le fromage qui sent mauvais et exhale son odeur.
Tiecelin, qui croit qu'il dit vrai, descend a terre, mais it n'ose pas avancer plus et Renart, voyant qu'il devient couard, s'efforce de le rassurer.
Saisissant ce moment, Renart s'elance sur Tiecelin; it croyait le prendre, mais it l'a rate; it ne lui reste que quatre plumes entre les jambes.
Tiecelin furieux, peu dispose a entendre le plaidoyer de Renart, se declare fou de le croire, en le voyant pleurer. Renart, lui repondant par des injures, mange du fromage dont it se lechait.
L'auteur nous assure que Renart etait mecontent de ce qu'il n'a pu l'attraper. Le fromage vaut un medicament dont it se plaint de la petite quantite; sa blessure ne s'en porta pas plus mal.
Renart, qui n'a plus rien a dire, s'en va, car son affaire est bien achevee.
II Corrections ---- a nouveau —
Pour les 162 vers de la Br. I15 , nous avons du corriger 3 vers en 3 endroits: au v.56 ou le contexte est obscur; au v.124 oil la lecon du ms. C est hypermetrique; et au v.150 qui manque dans le ms. C. Tous les trois sont corriges d'apres le ms. M.
III Notes
Quant a la source de cet episode qui n'est qu'une imitation d'une fabl Obs., p.33; Foulet, Renard, ch. VIII.
v.38
v.42 v.56
v.56
v.86
e de Phedre: Cf, Martin,
G. Tilander explique cette expression par une contamination des deux proverbes "Male garde pest le leu " (Morawski, 1207) et "Force pest le pre"
(Li proverbe au vilain, 121), et ce qui veut dire: "La mauvaise garde (fait perdre les brebis et) ménage le pre." Cf: Rem., p.48
Proverbe: Morawski, 1207 Mauvese garde pest le lou.
(aussi 92, 133) L. Foulet note: " La locution n'en savoir mot est três frequente aux XIIe et XIIIe siecles au sens de: avant de bien se rendre compte des choses, avant de savoir ce qui arrive, inconsciemment." (Renard, p. 298 note 2) Cf: Lex., p.107
Au second hemistiche de ce vers ou tous les autres mss. offrent la lecon commune que (quant) une mie, le ms. C seul garde une lecon un peu particuliere: que it l'esmie.
G. Tilander presente, selon Langfors, une croyance populaire que "les noix
IV
V
sont nuisibles aux cordes vocales." (Lex., p.110)
v.157 Nous avons traduit le mot poison par "medicament interne" (correspondant a plaie du v.159), mais le vrai sens de ce mot n'est d'autre chose que le
fromage.
Table des noms propres
Diex 67, 84, 106, 107; Dieu 66, 129 Dieu France 71 la France
Renart 138; .R'. 4, 7, 44, 46, 58, 78, 84, 95, 123, 126, 127, 146, 162 le goupil Rohart 69 un corbeau, pere de Tiecelin
Tiecelin 28, 32, 35, 50, 55, 62, 76, 100, 105, 113, 119, 124, 137, 139, 145; Tiecelin 16 le corbeau
Glossaire
acoharder v.i. 127 devenir couard (Lex., 6) asoreillier v.i. 24 se secher au soleil
bret n.m. 77 cri
broion n.m. 117 piege pour prendre les renards (Rem., 22) (clochier) v.i. cloche pr-3 103 boiter
cointe adj. se faire 82 avoir la pretention de (creanter) v.t. creant pr-1 152 assurer (crouler) v. t. croula simp-3 60 secouer
(definer) v. t. est definez pr-3 161 finir, achever (delechier, soi) v.pron. delechant 151 se lecher desevraille n.f 47 difference ( Lex ., 53)
destor n.m. 21 ecart, lieu detourne
(desvoier, soi) v.pron . se desvoia simp-3 132 s ecarter, se placer a l'ecart (entrelessier) v. t. entrelet pr-3 139 interrompre
erboie n.f 148 prairie
(esclerer) v.i. esclere pr-3 84 devenir clair ( Lex., 67) (espurgier) v.i. espurge pr-3 85 se degager, devenir clair estor n.m. 22 assaut, attaque
estre n.m. 4 lieu, endroit
(flerier) v.i. flere pr-3 110 fleurer, etre en mauvaise odeur foison n.f la male 158 petite quantite
fou n.m. 7, 9, 44 hetre
(frire, soi) v.pron. se frit pr-3 97 bruler de desir gaaingnier v.t. 29 faire du profit
(hanter) v.t. ont hante comp-6 8 frequenter, habiter hie n.f a une 55 en masse, d'un coup
jointe n.f 81 degre, intervalle de hauteur musicale ( Lex., 94) leu n.m. 41 chance, occasion
(lochier) v.i. loche pr-3 104 se remuer
losenge n.f 76 flatterie
mescheance n.f 117 malchance mesestance n.f. 118 malaise, peine
mot n'en savoir ti 56, 92, 133 avant de savoir ce qui arrive, inconsciement (offrir) v.i. a + inf. offre a pr-3 138 s'exprimer
orguener v.i. 74 chanter plessie n.m. 19 enclos
plet n.m. 140 paroles, plaidoyer ; 161 mauvais tour, affaire (Lex., 124) poison n.f 157 medicament interne
preuz adj. 112 bon
rechief n.m. de 83, 90 de nouveau
(refroidier, soi) v.pron. s'est refroidiez comp-3 11 se reposer rescorre v.t. 30 rattraper
riviere n.f. 3 rive, rivage
(ruer) v.t. rue pr-3 32 lancer, feter saison n.f 28 temps, temps favorable
tresche n.f faire la 9 tourner en rond, faire la ronde viez adj. de 63 depuis longtemps (Lex., 158)
(vostrer, soi) v.pron. s'est vostrez comp-3 11 se rouler, se vautrer
BRANCHE I13: Renart et la mesange
Analyse de la branche:
1. Prologue (v.1-4)
Un matin Renart s'est 'eve; pousse par une grande faim il s'est mis en chemin.
2. Renart, rencontrant la mesange, lui propose de s'embrasser en signe de paix. (v.5^-97) v.5--19: Renart apercoit une mesange sur la branche d'un chene; il la salue et lui
propose de s'embrasser en signe d'amitie. La mesange qui sait qu'il a joue
maints mauvais tours aux oiseaux, se mefie de lui et ne le prend pas au serieux.
v.20-42: Afin de la rassurer au sujet de la proposition, Renart raconte que la paix a ete juree par l'ordre de Noble le roi et que tous les vassaux se sont engages a la respecter et a la maintenir. La mesange tout mefiante lui repond d'aller
chercher quelqu'un d'autre, car elle n'a pas envie de se laisser embrasser par
lui.
v.43-49: Renart, voyant qu'elle n'a aucune confiance en lui, lui propose de nouveau de l'embrasser les yeux fermes; et elle le lui accorde.
v.49-56: Renart ferme les yeux; la mesange toujours mefiante ramasse une pleine poignee de mousse et de feuilles dont elle lui chatouille le museau. Et
Renart, croyant la saisir, n'attrappe que de la mousse.
v.57-70: La mesange l'accuse d'avoir viole la paix, mais celui-ci dit , tout en riant, que c'est une plaisanterie pour lui faire peur. Il lui propose de recommencer et
elle l'accepte.
v.71-79: Renart referme les yeux; la mesange s'approche de sa gueule mais se garde bien d'y entrer. Renart croit la saisir, mais it echoue. Et la mesange de s'ecrier: "Si je vous crois, que le feu de l'enfer me bride!"
v.80-97: Renart l'assure qu'il n'a aucune mauvaise intention et lui propose de re- commencer une troisieme fois. Mais la mesange, qui n'est ni folle ni sotte,
fait la sourde oreille et ne bouge pas de la branche du chene.
3. Voici venir les chasseurs; et la fuite de Renart. (v.98-143)
v.98-111: Pendant que Renart s'explique ainsi a la mesange, voila apparaftre des chasseurs avec leurs chiens qui se precipitent sur lui; Renart se prepare a
fuir.
v.112-119: La mesange, voyant Renart s'enfuir, lui crie de revenir et de l'embrasser par amour.
v.120"-134: Renart, qui n'attend plus, lui repond par un mensonge: "La paix est bien juree et promise; mais les chiens qui viennent ici ne le savent pas encore, car
ils n'etaient pas encore assez grands pour qu'on leur demandat de venir jurer la paix."
v.135-143: La mesange insiste de revenir l'embrasser, mais Renart , disant que ce n'est pas le moment de le faire, s'enfuit a travers le bois.
4. Renart rencontre un moine qui s'en laisse accroire par lui. (v.144^-204)
v.144-167: Dans le bois Renart tombe sur un moine convers qui accompagne deux vautres tenus en laisse. Le garcon qui le suit crie au moine de lacher les
chiens. Renart croit etre perdu, car it ne peut ni s'echapper, ni fuir.
v.168-180b: Le moine convers, apercevant Renart, le menace; mais Renart le fait accroire qu'il est en train de faire une course sur paris avec ces chiens.
v.181-199: Le moine juge que Renart est dans le vrai, it le recommande a Dieu et a St Julien et revient sur ses pas. Continuant sa fuite, Renart a franchi un
grand fosse; la les chiens ont perdu la trace.
v.200^-204: Le voila en sure* et it se repand en menaces contre ceux qui lui ont cause du mal.
I I Corrections — a nouveau —
Pour les 206 vers de la Br. 113, nous avons du faire la correction en 6 endroits; entre le v.93/94 nous avons rejete un vers que les mss. CM possedent: De pecheor misericorde . Le v.145 qui a une lecon illogique est corrige d'apres M; le v.180 ou la lecon des mss . CM est obscure est corrige d'apres le ms. B; aux vv.180a et 180b qui manquent dans les mss . CM, c'est a l'aide du ms. 0 que nous avons insere des vers.
III Notes
Concernant la source des episodes de cette branche, E. Martin note: "Le recit de Renart
et de la mesange n'est pas aussi repandu. Au baiser demande par Renart, on pourrait rapport-
er ce qu'on lit dans la Ier fable de l'additio prior aux Fables d'Odon de Cerington (Hervieux 2 p.661). Cette fable, intitulee Ovis et lupus, pourrait cependant remonter a notre poeme.
D'autre part, le second attentat que Renart fait sur le coc dans l'Ysengrimus V 132 ss. se rapproche de notre recit en ce que dans tous les deux Renart annonce la paix generale des animaux et qu'il s'enfuit devant les chiens." (Obs., p.33) Cf; aussi Foulet, Renard., ch. VIII.
v.16 Le mot biche dans l'ancien francais, avait un sens beaucoup plus large que celui d'aujourd'hui. Ici, comme contraste a oisel, le mot est employe dans le sens des animaux quadrupedes. Cf: Ch. Bruneau, Ancien francais biche, in Romania, XLVIII (1922), p. 270- 272.; G.Rohlf, Franz. biche, ital. biscia etc., in Zeitschrift fiir rom. Phil., XLI (1921), p.354-5.
v.61-63v.61 CM = Vous disIez que afiee Estoit la pes et bien juree;
Et juree l'avoit vo sire.
v.62
v.63
(BKL, E mq.) V. disiee guar afiee A;
d. qu'iert afiee D; d. or qu'ert afiee H; d. quiet afiee N
La pes et qu'ele estoit juree AHDIN;
e. afiee G; La paiz et affiee F; La pes et bien asseuree 0; BKL mq.
Mal l'a juree votre sire AO, B(M. a j.), L (Mar Pa); Mar l'avez j. vo s. D; Que jurer l'avoit fait vo s. H; Que juree l'avoit vo s. I; Malgre nos sace vostre s. K; Vous l'avez mal juree s. N; EFG mg.
v.72--73 CM = Cele li vint pres de la goule Renart, mes ne vint pas dedenz.
Au v.73 les mss. CM portent Renart en abrege (_ .R'.) ainsi qu'au ms. A; Martin fait une correction dans son edition d'apres le ms. N (= Raiant). Les autres mss. offrant une lecon assez variee pour le. v.73, nous avons garde la lecon des mss. CM quoi qu'elle soit douteuse.
Cf: tradition manuscrite du v.73: .R'. m. n'entra p. dedent A, N (Raiant m.); Volent mes ele n'entra pas anz B, K (ele mq., p. dedenz), L (ele mq., n'e. mie a.), 0 (m. n'ala pas dedenz);
Devant mais el n'entra pas ens D, H (el mq., p. dedens); Mais n'en entra pas dedens G; I mq.
v.86 Proverbe: Cf, Morawski, 2378 Tierce foiz, c'est droiz.
v.93 96
Pour ce passage d'apres M, ou biend'apres
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